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trésor ; car il avait beaucoup parlé des grandes choses qu’il ferait à son retour. On n’en savait pas plus, aucun des autres n’étant venu à terre, et ils semblaient pressés d’arriver à un certain point avant les neiges.

Et de fait, le lendemain il tomba quelques flocons même en Albany ; mais il n’en fut rien de plus que de nous faire souvenir de ce qui nous attendait. Je prenais la chose à la légère, étant peu au courant du rude climat de cette province : il n’en est plus de même aujourd’hui, lorsque je me reporte en arrière ; et je me demande parfois si l’horreur des événements qu’il me faut à présent raconter ne provenait pas en partie des ciels sinistres et des vents farouches auxquels nous fûmes exposés, et du froid mortel qu’il nous fallut subir.

Comme la barque était passée, je crus d’abord que nous allions quitter la ville. Mais il n’en fut pas question. Mylord prolongeait son séjour en Albany, où nous n’avions pas d’affaires visibles, et me gardait auprès de lui, éloigné de mon véritable devoir, sous un prétexte de travail. C’est là-dessus que j’attends et que je mérite peut-être le blâme. Je n’étais pas assez obtus pour n’avoir pas mes idées à moi. Il m’était impossible de voir le Maître se confier aux mains de Harris, sans deviner là-dessous quelque manigance. La réputation de Harris était déplorable, et il avait été soudoyé en secret par Mylord ; mes informations me firent voir dans Moutain le trafiquant un personnage du même acabit ; leur entreprise commune, la recherche d’un trésor volé, était bien faite pour les inciter à un mauvais coup ; et la nature du pays où ils s’engageaient assurait l’impunité au crime. Eh bien, il est exact que toutes ces idées me vinrent, avec ces craintes et ces pressentiments du sort réservé au Maître. Mais il faut considérer que c’était moi-même qui avais essayé de le précipiter des bastingages du navire, au beau milieu de la mer ; moi-même qui, peu auparavant, avais offert à Dieu un marché très impie mais sincère, m’efforçant d’obtenir que Dieu se fît mon séide. Il est vrai encore que ma haine envers mon ennemi s’était considérablement atténuée. Mais j’ai toujours vu dans cette diminu-