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l’intérieur, il nous cria de le laisser en paix. Nous nous entre-regardâmes, tout pâles, – persuadés l’un et l’autre que la catastrophe était arrivée.

– Je vais écrire au gouverneur pour l’excuser, dit-elle. Il nous faut garder nos amis influents. Mais lorsqu’elle prit la plume, celle-ci tomba des doigts : Je ne saurais écrire, dit-elle. Et vous ?

– Je vais essayer, Mylady.

Elle suivit des yeux ce que j’écrivais. « Cela suffit, dit-elle quand j’eus terminé. Grâce à Dieu, j’ai vous sur qui me reposer ! Mais que peut-il bien lui être arrivé ? Quoi ? quoi donc ? »

À mon idée, je ne voyais aucune explication possible, et je ne trouvais pas nécessaire d’en chercher une ; je craignais à la vérité que la folie de mon maître ne vînt juste d’éclater, après avoir couvé longtemps, comme un volcan fait éruption ; mais cette pensée (par pitié pour Mylady) je n’osais la formuler.

– Il est urgent de chercher la conduite à tenir, dis-je. Devons-nous le laisser seul.

– Je n’ose le déranger, répondit-elle. C’est peut-être la nature qui réclame la solitude ; et nous ne savons rien. Oh ! oui, j’aime mieux le laisser comme il est.

– Je vais, en ce cas, faire porter cette lettre, Mylady, et reviendrai ensuite, si vous le permettez, m’asseoir auprès de vous.

– Je vous en prie ! s’écria Mylady.

Tout l’après-midi, nous restâmes l’un et l’autre silencieux, à surveiller la porte de Mylord. J’avais l’esprit occupé de la scène qui venait d’avoir lieu, et de sa singulière ressemblance avec ma vision. Je dois toucher un mot de celle-ci, car l’histoire, en se divulguant, a été fort exagérée, et je l’ai moi-même vue imprimée, avec mon nom cité comme référence. Or, voici qu’elle fut ma vision : Mylord était dans une chambre, avec son front sur la table, et quand il releva la tête, il avait cette expression qui me navra jusqu’à l’âme. Mais la chambre était tout à fait différente, l’attitude de Mylord devant la table n’était pas du tout la même et son visage, quand il le tourna vers moi,