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bizarre et attristant ! dès le début de cette métamorphose, mon hostilité tomba, et ces visions obsédantes de mon maître s’évanouirent tout à fait. En sorte que, peut-être, il y avait du vrai dans la dernière vantardise qu’il m’adressa le 2 juillet, alors que notre long voyage touchait à sa fin, et que le calme plat nous retenait en mer, à l’entrée du vaste port de New York, par une chaleur suffocante, que remplaça peu après une stupéfiante cataracte de pluie. Je me tenais à la poupe, regardant les rivages verdoyants et tout proches, et les fumées éparses de la petite ville qui était notre destination. J’étais en train de réfléchir aux moyens de prendre les devants sur mon ennemi familier, et je ressentis une ombre de gêne, lorsqu’il s’approcha de moi, la main tendue.

– Je suis venu vous dire adieu, dit-il, et cela pour toujours. Car vous vous en allez chez mes ennemis, qui vont raviver tous vos anciens préjugés. Je n’ai jamais manqué de séduire tous ceux que j’ai voulu ; même vous mon bon ami, – pour vous appeler une dernière fois ainsi – même vous, gardez aujourd’hui en votre mémoire un portrait de moi tout différent, et que vous n’oublierez jamais. Le voyage n’a pas assez duré, sans quoi l’empreinte eût été plus profonde. Mais à présent, tout cela est fini, et nous revoilà en guerre. Jugez, d’après ce petit intermède, combien je suis dangereux ; et dites à ces idiots – (et il désigna la ville) – d’y réfléchir à deux fois, et même à trois, avant de me mettre au défi.