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retentissait de leurs claquements, comme une manufacture. Nous parlâmes d’abord de la révolte dont nous avions été menacés ; sujet qui nous conduisit à celui de l’assassinat ; et ce dernier offrit au Maître une tentation à laquelle il ne put résister. Il lui fallut me raconter une histoire, et me montrer par la même occasion toute l’étendue de sa méchanceté. C’était un exercice auquel il ne manquait pas de se livrer avec un grand déploiement d’affectation ; et d’ordinaire avec succès. Mais cette histoire-ci, racontée sur un diapason élevé au milieu d’un fracas aussi intense, et par un narrateur qui un instant me regardait du haut des cieux et l’instant d’après levait les yeux vers moi de plus bas que les semelles de mes souliers, – cette histoire-ci, dis-je, m’impressionna singulièrement.

– Mon ami le comte (ce fut ainsi qu’il débuta) avait pour ennemi un certain baron allemand, nouveau venu dans Rome. Peu importe sur quoi reposait l’inimitié du comte ; mais, comme il avait la ferme intention de se venger, et cela sans nuire à sa sûreté, il n’en laissait rien voir, même au baron. Car c’est le premier principe de la vengeance qu’une haine avouée est une haine impuissante. Le comte était un homme de goût délicat et scrupuleux ; il y avait de l’artiste en lui ; tout ce qu’il exécutait, il voulait que ce fût fait avec une exacte perfection, non seulement de résultat, mais de moyens et d’instruments. Sinon, il jugeait la chose manquée. Un jour qu’il errait à cheval en dehors des faubourgs, il rencontra un chemin de traverse peu fréquenté qui s’enfonçait dans les maremmes avoisinant Rome. D’un côté, il y avait un vieux tombeau romain ; de l’autre, une maison abandonnée dans un clos de chênes verts. Ce chemin le conduisit bientôt parmi les ruines. Au milieu, dans le flanc d’un monticule, il vit une porte béante, et, non loin, un pin isolé et rabougri, pas plus haut qu’un groseillier. L’endroit était désert et fort écarté ; une voix intérieure avertit le comte qu’il s’y trouvait quelque chose d’avantageux pour lui. Il attacha son cheval au pin, prit en main son briquet pour faire de la lumière, et pénétra dans le monticule. La