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trembler. Mais voici que Ton serviteur est prêt, il dépouille sa cruelle faiblesse. Ô ! Que je donne ma vie pour celle de cette créature ; prends-les toutes deux, Seigneur ! prends les deux, et aie pitié de l’innocent ! » Telles furent à peu près les paroles, plus irrévérencieuses toutefois, et accompagnées de plus sacrilèges supplications, où je continuai à déverser mes sentiments. Dieu ne m’écouta pas, il me fit cette grâce : mais j’étais encore perdu dans ma détresse suppliante lorsque, soulevant la bâche goudronnée, quelqu’un fit entrer dans la cabine la lumière du couchant. Je me relevai plein de confusion, et fut tout surpris de m’apercevoir que je titubais et que j’avais les membres brisés comme si l’on m’eût roué. Secundra Dass, ayant cuvé sa drogue, se tenait dans un coin, à me considérer avec des yeux hagards, et par le vasistas ouvert, le capitaine me remerciait pour mes prières.

– Vous avez sauvé le navire, Mr. Mackellar, dit-il. Toute l’habileté nautique du monde n’eût pu le maintenir à flot ; nous pouvons bien le dire : La cité que le Seigneur ne garde pas, les sentinelles la gardent en vain.

J’étais abasourdi de l’erreur du capitaine, et aussi de la surprise craintive que l’Indien me manifesta d’abord, et des obséquieuses politesses dont il ne tarda pas à m’accabler. Je sais aujourd’hui qu’il dut m’entendre et saisir mon singulier genre de prières. En tout cas, il les avait certainement révélées aussitôt à son patron ; et, sachant tout ce que je sais aujourd’hui, je comprends aussi un mot qui lui échappa au cours de la conversation, ce soir-là, lorsque, levant la main et souriant, il dit : « Ah ! Mackellar ! chacun n’est pas un aussi grand lâche qu’il ne croit, – ni un aussi bon chrétien. » Il ne se doutait pas à quel point il disait vrai ! Car les pensées qui m’avaient envahi au fort de la tempête gardaient leur emprise sur moi ; et les paroles involontaires qui m’étaient montées aux lèvres sous forme de prière continuaient à me tinter aux oreilles : – avec les humiliants résultats dont il convient de faire l’aveu loyal ; car je n’admettrais pas de jouer le rôle