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jamais ; toutefois, par la disparition de ce qui faisait sa force, il était réduit à l’impuissance ; la vipère demeurait, mais à présent c’était sur une lime qu’elle gaspillait son venin. Deux autres pensées m’occupèrent aussi au cours du déjeuner : la première, qu’il était stupéfait – j’allais presque dire désespéré – de voir sa méchanceté absolument inefficace ; la deuxième, que peut-être Mylord était dans le vrai, et que nous aurions tort de fuir devant notre ennemi désemparé. Mais je resongeai au cœur bondissant de mon pauvre maître, et je me souvins que nous nous faisions lâches pour lui sauver la vie.

Le repas terminé, le Maître m’accompagna jusque dans ma chambre, et, prenant une chaise (que je ne lui offrais pas), il me demanda ce qu’on allait faire de lui.

– Mais, Mr. Bally, répondis-je, le château vous restera ouvert pour un temps.

– Pour un temps ? répéta-t-il. Je ne sais si je vous entends bien.

– C’est assez clair, dis-je. Nous vous gardons par convenance. Dès que vous vous serez déconsidéré publiquement par quelqu’une de vos frasques, nous vous mettrons dehors aussitôt.

– Vous êtes devenu un bien impudent drôle, dit le Maître, les sourcils froncés d’un air menaçant.

– J’ai appris à bonne école, répliquai-je. Et vous avez pu vous apercevoir qu’avec le décès de Mylord votre père, votre pouvoir a complètement disparu. Je ne vous crains plus, Mr. Bally ; je crois même – Dieu me pardonne ! – que je prends un certain agrément à votre société.

Il eut un éclat de rire, visiblement feint.

– Je suis venu les poches vides, dit-il, après une pause.

– Je ne crois pas que l’argent roule de nouveau, répliquai-je. Je vous préviens de ne pas faire fond là-dessus.

– J’aurais cependant quelque chose à dire.

– En vérité ? Je ne devine pas quoi, en tout cas.

– Oh ! vous affectez la confiance, dit le Maître. Ma