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réveil trop brusque lui eût infailliblement été funeste. Je ne concevais pas qu’il pût survivre, et je me voilais la face à la perspective de son déshonneur.

Ce fut cette continuelle préoccupation qui me donna enfin le courage de parler : la chose mérite d’être contée en détail. Mylord et moi étions un jour assis à mon bureau, en train de régler quelque fastidieuse affaire ; il avait, je l’ai dit, perdu son intérêt d’autrefois en ce genre d’occupations ; il aspirait clairement à en avoir fini, et il avait l’air chagrin, las, et une idée plus vieux que je ne l’avais vu auparavant. Ce fut, je pense, son visage ravagé qui me fit soudain entreprendre une explication.

– Mylord, dis-je, la tête baissée, et feignant de poursuivre mon travail, ou plutôt laissez-moi vous appeler encore Mr. Henry, car je redoute votre colère, et je désire que vous pensiez aux jours d’autrefois…

– Mon bon Mackellar ! dit-il ; et cela d’un ton si doux que je faillis renoncer à mon dessein. Mais je me rappelai que je parlais pour son bien, et tins ferme mon drapeau.

– N’avez-vous jamais réfléchi à ce que vous faisiez ? demandai-je.

– Qu’est-ce que je fais ? répondit-il. Je n’ai jamais été fameux pour deviner les charades.

– Que faites-vous avec votre fils ? dis-je.

– Eh bien, dit-il, avec un ton presque de défi, et qu’est-ce que je fais avec lui ?

– Votre père était un excellent homme, dis-je, biaisant. Mais croyez-vous qu’il fut un père sage ?

Il prit un temps avant de parler ; puis répliqua :

– Je ne dis rien contre lui. J’en aurais beaucoup à dire, peut-être ; mais je me tais.

– C’est bien cela, dis-je. Vous en avez du moins sujet. Et cependant votre père était un excellent homme ; impossible d’être meilleur, sauf sur un point, ni plus sage. Où il achoppait, il est fort possible qu’un autre serait tombé. Ses deux fils…

Soudain, Mylord frappa violemment sur la table.

– Qu’est-ce ceci ? s’écria-t-il. Expliquez-vous !