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– James ? demanda-t-il.

– Votre frère James, répondis-je. Je ne voudrais pas vous donner une fausse joie, mais en mon for intérieur, je crois qu’il est très probablement en vie.

– Ah ! dit Mr. Henry. Puis soudain, se levant de son siège avec plus d’alacrité qu’il n’en avait montré encore, il posa l’index sur ma poitrine et me cria pour ainsi dire tout bas : – Mackellar – (je cite ses paroles textuelles) – rien ne peut tuer cet homme. Il n’est pas mortel. Je l’ai sur le dos pour toute l’éternité… pour toute l’éternité de Dieu ! – Et, se rasseyant, il s’enfonça dans un silence obstiné.

Un jour ou deux plus tard, avec le même sourire coupable, et regardant d’abord autour de lui, comme pour s’assurer que nous étions seuls :

– Mackellar, dit-il, lorsque vous saurez quelque chose, avertissez-moi. Il nous faut prendre garde à lui, sinon il nous surprendra lorsque nous nous y attendrons le moins.

– Il n’osera plus se montrer ici, dis-je.

– Oh ! si fait ! dit Mr. Henry. Où que je sois, il y sera.

Et de nouveau il regarda autour de lui.

– Il ne faut pas vous préoccuper de la sorte, Mr. Henry, dis-je.

– Non, dit-il, votre avis est très bon. Nous n’y penserons jamais, excepté lorsque vous aurez des nouvelles. Et puis, on ne sait pas, ajouta-t-il ; il est peut-être mort !

Sa manière de prononcer la phrase me convainquit entièrement de ce que j’osais à peine soupçonner : à savoir que, bien loin de se repentir d’avoir voulu tuer son frère, il regrettait seulement de n’y avoir pas réussi. Je gardai pour moi cette découverte, craignant qu’elle ne lui portât préjudice vis-à-vis de sa femme. Mais j’aurais pu m’épargner l’embarras ; elle avait d’elle-même deviné le sentiment, et l’avait jugé tout à fait naturel. En somme, je peux dire que nous étions tous trois du même avis ; et aucune nouvelle n’eût été mieux venue à Durrisdeer que celle de la mort du Maître.