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tout ensanglantée. À leur venue, il recouvra ses esprits, leur ordonna de le porter à bord et de se taire ; et lorsque le capitaine lui demanda comment il avait été blessé, il répondit par un torrent d’affreux blasphèmes, et s’évanouit sur-le-champ. Ils tinrent conseil, mais comme ils attendaient le vent d’une minute à l’autre, et qu’ils étaient bien payés pour le passer en France, ils ne se soucièrent pas de tarder. En outre, il était fort aimé de ces abominables gredins ; ceux-ci se figuraient qu’il était sous le coup d’une sentence capitale, car ils ignoraient en quelle mésaventure il avait été blessé ; et ils jugèrent de bonne amitié de le mettre hors de danger. On l’emporta donc à bord, il guérit durant la traversée, et fut débarqué, en pleine convalescence, au Havre-de-Grâce. Il est encore à noter qu’il ne dit pas un mot du duel à personne, et que pas un contrebandier, aujourd’hui encore, ne sait dans quelle querelle ou par la main de quel adversaire il tomba. Chez tout autre, j’aurais attribué cette discrétion à une prudence naturelle ; chez lui, j’y vois de l’orgueil. Il ne supportait pas d’avouer, ni peut-être vis-à-vis de lui-même, qu’il eût été vaincu par celui qu’il avait outragé si longtemps et qu’il méprisait aussi cruellement.