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Nous retournions, moi portant les flambeaux, elle le sabre – singulier fardeau pour une femme – lorsqu’elle eut une autre idée.

– Devons-nous le dire à Henry ? demanda-t-elle.

– Mylord décidera, répondis-je.

Mylord était presque habillé lorsque j’entrai dans sa chambre. Il fronça les sourcils en m’écoutant.

– Les contrebandiers, dit-il. Mais était-il mort ou vivant ?

– Je l’ai cru… dis-je ; et je m’arrêtai, n’osant prononcer le mot.

– Je sais. Mais vous avez pu fort bien vous tromper. Pourquoi l’auraient-ils emporté, s’il n’était plus en vie ? Oh ! voilà une porte grande ouverte à l’espérance. Il faut faire courir le bruit qu’il est reparti – comme il est venu – à l’improviste. Nous devons à tout prix éviter le scandale.

Je vis qu’il songeait, comme nous autres, surtout à l’honneur de la maison. À présent que tous les membres vivants de la famille étaient plongés dans une irrémédiable douleur, il était singulier de nous voir tous préoccupés de cette entité abstraite, la famille en soi, nous efforçant de soutenir le rien immatériel de sa réputation : non seulement les Duries, mais jusqu’à l’intendant à gages.

– Allons-nous le dire à Mr. Henry ? demandai-je à Mylord.

– Je verrai, dit-il. Je veux d’abord lui rendre visite ; puis j’irai avec vous examiner la charmille, et je réfléchirai.

Nous descendîmes à la salle. Mr. Henry était assis devant la table, le front dans la main, comme un homme de pierre. Sa femme se tenait un peu à l’écart, la main sur la bouche ; évidemment, elle n’avait pas réussi à attirer son attention. Mylord s’avança lentement vers son fils ; il avait l’air grave, certes, mais un peu froid, à mon avis. Quand il fut près de lui, il avança les deux mains, et dit :

– Mon fils !

Avec un cri étouffé et inarticulé, Mr. Henry sauta au