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L’ÎLE AU TRÉSOR

nous aurions abordé à côté des yoles, où les pirates pouvaient surgir à tout instant.

Je gouvernais tandis que le capitaine et Redruth, dispos tous les deux, étaient aux avirons.

— Je n’arrive pas à maintenir le cap sur la palanque, monsieur, dis-je au capitaine. La marée nous emporte. Pourriez-vous souquer un peu plus fort ?

— Pas sans remplir le canot, répondit-il. Il vous faut laisser porter, monsieur, si vous voulez bien… laisser porter jusqu’à ce que vous gagniez.

J’essayai, et vis par expérience que la marée nous drossait vers l’ouest, tant que je ne mettais pas le cap en plein est, c’est-à-dire précisément à angle droit de la route que nous devions suivre. Je prononçai :

— De cette allure, nous n’arriverons jamais.

— Si c’est la seule route que nous puissions tenir, monsieur, tenons-la, répliqua le capitaine. Il nous faut continuer à remonter le courant… Voyez-vous, monsieur, si jamais nous tombons sous le vent du débarcadère, il est difficile de dire où nous irons aborder… outre le risque d’être attaqués par les yoles… D’ailleurs, dans la direction où nous allons, le courant doit diminuer, ce qui nous permettrait de retourner en nous défilant le long de la côte.

— Le courant est déjà moindre, monsieur, dit le matelot Gray, qui était assis à l’avant ; vous pouvez mollir un peu.

— Merci, mon garçon, répondis-je, absolument comme si rien ne s’était passé.

Nous avions, en effet, tacitement convenu de le traiter comme un des nôtres.

Soudain, le capitaine reprit la parole, et sa voix me parut légèrement altérée :

— Le canon ! fit-il.