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L’ILE AU TRÉSOR.

« Ce docteur m’a tué, dit-il. Voilà que j’ai des bourdonnements dans la tête. Aide-moi à me recoucher… »

Avant que j’eusse eu le temps de faire ce qu’il désirait, il était retombé sur son oreiller. Assez longtemps il resta silencieux.

« Jim, reprit-il enfin, tu as bien vu ce marin, aujourd’hui ?

— Chien-Noir ?

— Chien-Noir… C’est un mauvais gredin, vois-tu ; mais ceux qui l’envoient valent encore moins que lui… Écoute-moi un peu, mon petit Jim. Si, pour une raison ou une autre, il m’est impossible de partir, s’ils me prennent au gite et me remettent la marque noire, rappelle-toi que c’est à mon vieux coffre qu’ils en veulent. Eh bien, alors, ne perds pas une minute. Enfourche un cheval — tu sais te tenir à cheval, n’est-ce pas ? — enfourche le premier cheval venu et va-t’en à bride abattue chez… oui ! chez lui !… chez ce maudit docteur !… Tu lui diras de rassembler le plus de monde qu’il pourra, — les magistrats, la police, tout le tremblement, s’il veut pincer ici, à bord de l’Amiral-Benbow, la bande entière du vieux Flint, ce qui en reste, au moins, mousses et matelots !… Tel que tu me vois, petit, j’étais son second, au vieux Flint, — et seul je connais la cachette… Il m’en a confié le secret à Savannah, à son lit de mort, — comme qui dirait dans l’état où je suis maintenant, comprends-tu ?… Mais pas un mot de tout ceci, à moins qu’ils ne m’envoient la marque noire, ou que tu ne voies rôder par ici soit Chien-Noir, soit le marin à la jambe de bois, lui surtout, Jim !…

— Mais que voulez-vous dire par la marque noire, Capitaine ? demandai-je.

— C’est une sommation de la bande, mon petit. Je t’avertirai s’ils me l’envoient. Mais, en attendant, veille au grain, Jim, et je partagerai tout avec toi, sur mon honneur !… »

Il divagua encore quelques instants. Sa voix devenait de plus en plus faible. Je lui donnai sa potion, qu’il prit comme un enfant, en disant :

« Si jamais un marin a eu besoin de remèdes, c’est bien moi ! »

Puis il tomba dans un sommeil lourd, et semblable à un évanouissement ; après quelques minutes je me décidai à redescendre.

Ce que j’aurais fait si les choses avaient suivi le cours ordinaire, je l’ignore. Très probablement, j’aurais tout conté au docteur, car je mourais de peur que le Capitaine ne vint à regretter sa confidence et ne me fit disparaître. Mais il advint que mon pauvre père mourut ce même soir d’une manière tout à fait soudaine, et ce malheur nous fit naturellement oublier tout le reste. Le chagrin qui nous accablait, les visites des voisins, les arrangements à prendre pour les funérailles, sans compter l’auberge qui allait son train accoutumé, tout cela me surmena si bien, que c’est à peine si j’avais le temps de