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Assurément, c’est là une singulière histoire, et j’éprouve quelque embarras à vous en donner l’explication. Car, ajouta-t-il avec une hésitation visible, il y a au fond de cela une question d’amour.

— Vraiment, dis-je, j’ai bien de la peine à voir un rapport entre cette idée et mon oncle.

— Mais votre oncle, monsieur David, n’a pas toujours été vieux, répliqua le légiste, et ce qui vous surprendra peut-être davantage, il n’a pas toujours été laid. Il avait belle et galante tournure. Les gens se mettaient sur le seuil de leur porte pour le regarder, quand il passait sur un cheval plein de feu.

Je l’ai vu de mes propres yeux, et je l’avoue sans détour, je l’ai vu avec quelque envie, car j’étais moi-même un jeune homme d’une figure très commune, et mon père était comme moi.

À cette époque-là, on pouvait appliquer la phrase : Odi te, qui bellus es, Sabelle[1].

— Cela m’a tout l’air d’un rêve.

— Oui, oui, reprit le légiste. C’est bien l’effet que produit la vieillesse sur la jeunesse. Mais ce n’est pas tout.

Il avait un entrain à lui qui semblait promettre de grandes choses pour l’avenir.

En 1715, ne s’avisa-t-il pas de s’enfuir pour rejoindre les rebelles ? Ce fut votre père qui le poursuivit, le retrouva dans un fossé et le ramena multum gementem[2] au grand divertissement de tout le pays. Mais majora canamus[3]. Les deux jeunes gens tombèrent amoureux, et de la même jeune fille. M. Ebe-

  1. Je te hais, Sabellus, toi qui es un bel homme.
  2. Geignant à fendre l’âme.
  3. Chantons de plus grands sujets.