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de campagne, qui n’aurait pas plus d’esprit naturel ni de courage qu’une queue de poireau. Je vous ai pris pour un brave homme, ou du moins pour un homme qui n’était pas pire que la moyenne. Nous nous sommes également trompés. Quel motif avez-vous de me craindre, de m’induire en erreur, d’attenter à ma vie ?…

Il murmura je ne sais quoi où il était question d’une plaisanterie, et alors, me voyant sourire, il changea de ton et m’assura qu’aussitôt après le déjeuner il se justifierait complètement.

Je vis à sa physionomie qu’il n’avait pas encore un mensonge prêt, et qu’il travaillait activement à en préparer un.

J’allais, je crois, le lui dire, quand nous fûmes dérangés par un coup frappé à la porte.

J’intimai à mon oncle l’ordre de rester assis où il était, j’allai ouvrir, et je vis sur le seuil un gamin à moitié développé, vêtu en marin.

À peine m’eut-il aperçu qu’il se mit à danser quelques pas de la gigue des matelots, danse dont je n’avais jamais entendu parler, et que j’avais encore moins vue, tout en faisant claquer ses doigts et s’accompagnant très en mesure ; mais avec tout cela, il était tout livide de froid, il y avait sur sa physionomie je ne sais quelle expression où on trouvait à la fois du rire et des larmes, expression des plus émouvantes, et qui s’accordait mal avec ses manifestations de gaîté.

— Ça va bien, matelot ? me dit-il d’une voix fêlée.

Je lui demandai d’un ton sec ce qui l’amenait.

— Oh ! le plaisir.

Et il se mit à chanter :

Oh ! c’est un charme pour moi, en une brillante nuit,
Dans la saison de l’année.