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avec une croissante acuité l’affront que je lui avais si ingénument infligé ; mais c’était un de ces cas où la parole est vaine.


Le fils de Tari était souriant et inerte ; sa bru, jeune femme de seize ans, jolie, aimable et grave, plus intelligente que la plupart des femmes d’Anaho, et connaissant assez de français ; sa petite-fille, un atome de créature au sein. J’allai à la grotte un jour que Tari était absent, et trouvai le fils faisant un sac de coton et madame allaitant mademoiselle. Je m’assis à terre avec eux, et la fille se mit à me questionner sur l’Angleterre. Pour la décrire, j’empilai dans la poêle les noix de coco les unes sur les autres pour figurer les maisons, et j’expliquai, du mieux que je pus, à l’aide de la parole et du geste, la surpopulation, la faim et le travail perpétuel. « Pas de cocotiers ? Pas de popoi[1] ? » demanda-t-elle. Je lui dis qu’il faisait trop froid, et lui donnai une représentation soignée, luttant contre les courants d’air, me pelotonnant auprès d’un feu imaginaire, pour lui faire mieux comprendre. Mais elle comprenait très bien : elle fit la remarque que ce devait être mauvais pour la santé, et resta un moment à réfléchir sur ce tableau de calamités insolites. J’éveillai sûrement sa pitié, car cela émut en elle une autre pensée toujours présente au cœur des Marquésans ; et elle se mit, avec un triste sourire, et me regardant de ses yeux mélancoliques,

  1. Pâte obtenue des fruits de l’arbre à pain et qui se conserve pour la saison où ces fruits ne sont pas mûrs. (N.d.T.)