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étions pas encore familiarisés avec les Îles ; cette générosité du pauvre homme nous peina, car elle dépassait ses moyens et, par une méprise assez naturelle, mais tout à fait impardonnable, nous refusâmes le porc. Si Tari eût été un Marquésan, nous ne l’aurions plus revu ; étant ce qu’il était, le plus doux, patient et mélancolique des hommes, il choisit une vengeance cent fois plus pénible. La pirogue aux neuf insulaires venus nous dire adieu avait à peine débordé que le Casco fut accosté par l’autre flanc. C’était Tari. Il était en retard parce qu’il n’avait pas de pirogue à lui, et en avait difficilement trouvé une à emprunter ; il venait seul (comme en fait nous l’avions toujours vu) parce qu’il était étranger au pays, et le plus morne compagnon. Toute ma famille évita lâchement la rencontre. Je dus recevoir seul notre ami offensé ; et l’entrevue dura plus d’une heure, car il répugnait à se retirer. « Vous partir. Je voir vous plus… non, monsieur !… bonne navire ! » s’écriait-il ; et le « non monsieur » était poussé par le nez sur un ton aigu et ascendant, écho de New Bedford et du baleinier perfide. Après ces témoignages de chagrin et ces louanges, il revenait sans cesse à l’affaire du porc refusé. « Je aimer donner présent tout comme vous, se plaignait-il ; avais seulement porc : vous pas prendre lui ! » Il était un pauvre homme ; il n’avait pas le choix de ses cadeaux ; il avait seulement un porc, répétait-il ; et je l’avais refusé. Je me suis trouvé rarement plus gêné que de le voir assis là, si vieux, si grisonnant, si pauvre, si tristement loti, l’air si lamentable. Je ressentais