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Coffin. Natif d’Oahu, dans les îles Sandwich, il avait navigué durant sa jeunesse sur des baleiniers américains, et devait à cette circonstance son nom, son anglais, son nasillement, et l’infortune de son sort immérité. Car un capitaine, du port de New Bedford, l’emmena à Nuka-hiva et l’y marrona parmi les cannibales. Le motif de cette action fut incroyablement mesquin ; et la solde du pauvre Tari, qui se trouvait ainsi économisée, n’aurait pas compromis la situation des armateurs de New Bedford. Cette action, en outre, était un pur meurtre. La vie de Tari, au début, tint à un cheveu. Il est vraisemblable que le chagrin et la terreur de sa situation le rendirent momentanément fou, car il est encore sujet à cette infirmité ; ou bien peut-être un enfant, pris d’affection pour lui, ordonna de l’épargner. En tout cas, il s’en tira vivant, se maria dans l’île, et je l’ai connu veuf avec un fils marié et une petite-fille. Mais le souvenir d’Oahu le hantait ; il en avait sans cesse l’éloge à la bouche ; il la revoyait, dans l’éloignement, comme un lieu de réjouissances continuelles, de chants et de danses ; et dans ses rêves je suppose qu’il y retourne avec joie. Mais que penserait-il, je me le demande, s’il y était transporté en effet ; s’il voyait la ville moderne de Honolulu et son trafic animé, le palais avec ses gardes, et le grand hôtel, et l’orchestre de M. Berger avec ses uniformes et ses instruments étrangers ; que penserait-il en voyant les visages bruns si raréfiés et les Blancs si nombreux ; et le champ de ses pères vendu à quelque planteur de canne à sucre, la famille de ses