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part le Casco à l’ancre, une grue ou deux, et ces perpétuels travailleurs, le vent et la mer, la face du monde était d’un vide préhistorique : la vie paraissait figée, et la sensation d’isolement était profonde et reposante. Soudain, une bouffée d’alizé franchit l’isthme, battit et éparpilla les éventails des palmiers au-dessus de la grotte ; et voilà que sur deux des cimes apparut un indigène, immobile comme une idole, et nous regardant, comme on dit, sans cligner. L’instant d’après, les arbres se refermèrent et la vision disparut. La découverte de présences humaines cachées sur notre tête dans un lieu où nous nous croyions seuls, l’immobilité de nos espions aériens et l’idée que peut-être à toute heure nous étions semblablement surveillés, tout cela nous fit frissonner. La conversation languit sur la plage. Quant au coq (dont la conscience n’était pas nette), il ne remit plus le pied à terre, et par deux fois où le Casco parut entraîné vers les récifs, l’empressement de cet homme fut curieux à observer : la mort, il en était persuadé, l’attendait sur la plage. Ce fut un an plus tard, dans les Gilbert, qu’il comprit. Les indigènes étaient occupés à extraire le vin de palmier, chose défendue par la loi[1] ; et lorsque le vent nous les révéla ainsi soudainement, ils furent sans doute plus troublés que nous.


Plus haut que la grotte habitait un vieil homme, mélancolique et grisonnant, nommé Tari (Charlie)

  1. Et très nuisible, sinon mortelle, pour l’arbre. (N.d.T.)