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de Babel. Mes nouveaux semblables restaient devant moi muets comme des peintures. Il me semblait que, dans mes voyages, toute relation humaine allait être supprimée et qu’une fois retourné chez moi (car à cette époque je projetais encore d’y retourner), mes souvenirs ne seraient qu’un livre d’images sans texte. Bien plus, je mettais en doute que mes voyages dussent beaucoup se prolonger. Peut-être une prompte fin leur était-elle destinée ; peut-être celui-là (mon ami futur, Kauauni), muettement assis parmi les autres, en qui je discernais un homme d’autorité, allait-il bondir sur ses cuisses, avec un strident appel ; et le navire serait emporté d’une ruée, et tous les gens du bord égorgés et mis en cuisine.

Rien ne pouvait être plus naturel que ces appréhensions, mais rien de moins fondé. Depuis, en parcourant les Îles, je n’eus plus jamais réception si menaçante ; et d’en rencontrer une pareille aujourd’hui m’alarmerait sans doute davantage et me surprendrait dix fois plus. La majorité des Polynésiens sont de relations faciles, francs, passionnés d’égards, avides de la moindre affection, tels des chiens aimables et caressants ; et même ces Marquésans, si récemment et imparfaitement rédimés de leur barbarie sanguinaire, devaient tous devenir nos intimes et, l’un d’eux au moins, pleurer notre départ avec sincérité.