Page:Stevenson - Dans les mers du sud, tome 1, Les Marquises et les Paumotus, 1920.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée

de rester. J’ai entrepris la rédaction de ces pages en mer, au cours d’une troisième croisière sur le vapeur marchand Janet Nicholl. Les jours qui me seront accordés, je les passerai là où j’ai trouvé la vie plus agréable et l’homme plus intéressant ; les haches de mes domestiques noirs sont en train de déblayer le terrain de ma future maison ; et c’est du plus lointain des mers que désormais je m’adresse à mes lecteurs.

Que j’aie ainsi infirmé l’opinion du héros de Lord Tennyson est moins extravagant qu’il ne le paraît. Bien peu des hommes venus aux Îles les quittent ; ils grisonnent où ils ont débarqué, et les palmes et l’alizé les éventent jusqu’à leur mort. Peut-être caressent-ils jusqu’au bout le désir d’une visite au pays ; mais celle-ci a lieu rarement, est plus rarement goûtée, et encore plus rarement réitérée. Aucune partie du monde n’exerce plus puissant attrait sur le visiteur, et la tâche que je m’assigne est de communiquer aux touristes en chambre quelque idée de cette séduction, de décrire la vie, en mer et à terre, de plusieurs centaines de mille individus, quelques-uns de notre sang et parlant notre langue, tous nos contemporains, et pourtant aussi lointains de pensée et d’usages que Rob Roy ou Barberousse, les Apôtres ou les Césars.

La première sensation ne se retrouve jamais. Le premier amour, le premier lever de soleil, la première île de la mer du Sud, sont des souvenirs à part, auxquels s’attache une virginité d’émotion. Le 28 juillet 1888, la lune était couchée depuis une