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été reçu par le cuisinier, lequel a un air obligeant et cultivé qui fait un contraste bien frappant avec les façons de ce pays de la Garonne, où chacun avant tout songe à se faire valoir. Les compagnons de navigation sont tout-à-fait gascons et, pis encore, vulgaires et parlent d’eux et de leurs exploits en adressant la parole au cuisinier d’un air terrible.

Le conducteur de la diligence de Bordeaux à Agen et Toulouse fait exception : c’est un bon flamand d’Aix-la-Chapelle qui nous raconte comment son père a été ruiné par la guerre de 1794. Il a un chien charmant nommé Spitz avec lequel je m’amuse toute la soirée. J’échange quelques mots avec un pauvre jeune homme pâle mais de la plus belle figure (beauté de Craven, il ressemble à la tête de Werther [édition Sévelinges], il a l’air bien poitrinaire) et qui espère se remettre par l’air natal. Il retourne des marais de la Vendée où il avait un emploi dans les environs. C’est le genre de beauté des têtes de Canova ; yeux en amandes et très peu d’intervalle entre le nez et la bouche. Je m’efforce d’augmenter le bon espoir de ce pauvre être souffrant ; il a la fièvre tous les jours depuis le mois de décembre. Je ne lui ai pas vu un geste ou une parole du même genre que les gestes et les paroles