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mentent cette année. Au delà du pli de terrain qui s’élève après cette prairie inondée, j’aperçois à revers toutes les tours de Bordeaux, les deux aiguilles et le clocher de Saint-André, la tour de Saint-Michel, etc., etc…

Je me présente ce soir à Saint-Seurin ; il est fermé. À tout moment, dans Bordeaux, on trouve des allées d’arbres de trente à quarante pieds de haut. Par malheur ce sont toujours de tristes ormeaux.

Ce soir, charmant dîner en pique-nique au Café de Paris. Vie toute en dehors, toute physique de ces aimables Bordelais, genre de vie leste, admirable dans ce moment que l’hypocrisie souille la vie morale de la France.

On plaisante un dîneur sur sa vie heureuse. Il est courtier en vins. Ces messieurs n’apportent pas d’autre fonds social dans leur commerce qu’un tilbury et un cheval. Ils courent le Médoc, pays qui produit le bon vin, de Bordeaux à la tour de Cordouan, rive gauche de la Gironde. Ils goûtent les vins des propriétaires et, avec de la craie, marquent la qualité sur les futailles. Jugez si les propriétaires leur font la cour. Malheur au propriétaire qui effacerait la marque à la craie du courtier ! Aucun courtier ne se chargerait de faire vendre son vin.