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— 14 mars.

Ce matin j’ai oublié la vie pendant deux heures. Je respirais les premières bouffées de l’air doux du printemps sur cet admirable quai dont le centre est marqué par deux colonnes rostrales.

C’est de celui-là que les Bordelais pourraient dire avec vérité ce qu’ils répètent sans cesse de leur théâtre, qu’il n’a pas son pareil en France et peut-être en Europe, Naples excepté ; et encore le quai de Bordeaux a un genre de beauté qui manque tout à fait à Chiaia, c’est le spectacle de cette activité et de ces navires qui arrivent chaque jour de toutes les parties du monde. Il serait trop long de es compter ; on peut dire que pour l’œil de l’amateur de paysages, ils sont innombrables, et cependant ils ne sont pas rangés, comme à Londres, de cette façon mercantile et sage qui fait songer à l’ordre si nécessaire au commerce et distrait presque tout à fait de l’idée de beauté.

C’est avec peine que je me suis arraché à cette admirable activité, à cette vie du quai de Bordeaux pour aller commencer le métier de voyageur et voir Saint-André. M. Millin, digne modèle des gens d’Aca-