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plus bronzé, ces choses si tristes paraîtront dans l’Histoire de mon temps. Mais, grand Dieu ! quelle laideur ! Le monde a-t-il toujours été aussi vénal, aussi bas, aussi effrontément hypocrite ? Suis-je plus méchant qu’un autre ? Suis-je envieux ? D’où me vient cette envie démesurée de faire donner une volée de coups de bâton à ce magistrat de… par exemple ? Et cet homme a l’air si avenant dans les salons de Paris ! Il raconte même avec une certaine grâce. Grand Dieu ! que n’a-t-il pas fait dans cette petite ville de 3.000 habitants ! J’en suis sûr ; en lisant ce trait on croira qu’à Paris il a humilié ma vanité. Si je me laissais aller à imprimer de telles choses on croirait ce voyage écrit par Juvénal. Heureusement pour moi, après les avoir écrites, je les oublie complètement ; elles ne me reviennent qu’en voyant les noms de ces hommes briller dans le journal. Grand Dieu ! quelle canaille !

L’un d’eux, le plus doux, le plus accueillant qui, dans un salon, a l’air d’un abbé de l’ancien régime, a fait guillotiner des innocents, que le soupçon ne pouvait pas même atteindre. Je le regarde souvent avec un étonnement muet. Il fit cela légèrement, comme il eût décidé de la couleur d’un ameublement. C’est le souvenir de cet abbé de cour qui me serre tellement le