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les flocons tombent doucement sur la terre muette ; et Marcello a surpassé tous ses rivaux dans sa cantate de Calisto changée en ourse : au moment où Junon a transformé en bête cruelle cette amante infortunée, l’auditeur frissonne à la férocité des accompagnements sauvages qui peignent les cris de l’ourse en fureur.

C’est ce genre d’imitation que Haydn a perfectionné. Vous savez, mon ami, que tous les arts sont fondés sur un certain degré de fausseté ; principe obscur malgré son apparente clarté, mais duquel découlent les plus grandes vérités : c’est ainsi que, d’une grotte sombre, sort le fleuve qui doit arroser d’immenses provinces. Nous en parlerons un jour plus au long.

Vous avez bien plus de plaisir devant une belle vue du jardin des Tuileries qu’à regarder ce même jardin fidèlement répété dans une des glaces du château ; cependant le spectacle fourni par la glace a bien d’autres couleurs que le tableau, fût-il de Claude Lorrain : les personnages y ont du mouvement, tout y est plus fidèle ; mais vous préférez obstinément le tableau.

L’artiste habile ne s’éloigne jamais du degré de fausseté qui est permis à l’art qu’il cultive ; il sait bien que ce n’est pas en imitant la nature jusqu’au point de produire l’illusion que les arts plaisent : il fait