Page:Stendhal - Vie de Henri Brulard, t1, 1913, éd. Debraye.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La plupart de ces êtres charmants ne m’ont point honoré de leurs bontés ; mais elles ont à la lettre occupé toute ma vie. A elles ont succédé mes ouvrages. Réellement je n’ai jamais été ambitieux, mais en 1811 je me croyais ambitieux.

L’état habituel de ma vie a été celui d’amant malheureux, aimant la musique et la peinture, c’est-à-dire jouir des produits de ces arts et non les pratiquer gauchement. J’ai recherché avec une sensibilité exquise la vue des beaux paysages ; c’est pour cela uniquement que j’ai voyagé. Les paysages étaient comme un archet qui jouait sur mon âme, et des aspects que personne ne citait, la ligne de rochers en approchant d’Arbois, je crois, et venant de Dole par la grande route, sont pour moi une image sensible et évidente de l’âme de Métilde. Je vois que la Rêverie a été ce que j’ai préféré à tout, même à passer pour homme d’esprit. Je ne me suis donné cette peine, je n’ai pris cet état d’improviser en dialogue, au profit de la société où je me trouvais, qu’en 1826, à cause du désespoir où je passai les premiers mois de cette année fatale.

Dernièrement, j’ai appris, en le lisant dans un livre (les lettres de Victor Jacquemont, l’Indien) que quelqu’un avait pu me trouver brillant. Il y a quelques années, j’avais vu la même chose à peu près dans un livre, alors à la mode, de lady Morgan. J’avais oublié cette belle qualité qui m’a fait tant d’ennemis. (Ce n’était peut-être que l’apparence de