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fit mon ennemie. Mme de Montcertin[1], grande et bien faite, fort timide, paresseuse, tout à fait dominée par l’habitude, avait deux amants : l’un pour la ville, l’autre pour la campagne, aussi disgracieux l’un que l’autre. Cet arrangement a duré je ne sais combien d’années. Je crois que c’était le peintre Scheffer qui était l’amant de la campagne ; l’amant de ville était M. le colonel, aujourd’hui général Carbonnel, qui s’était fait garde du corps du général Lafayette.

Un jour les huit ou dix nièces de Mme de Montcertin lui demandèrent ce que c’était que l’amour ; elle répondit : « C’est une vilaine chose sale, dont on accuse quelque fois les femmes de chambre, et, quand elles en sont convaincues, on les chasse. »

J’aurais dû faire le galant auprès de Mme Montcertin, cela n’était pas dangereux — jamais je n’aurais réussi, car elle s’en tenait à ses deux hommes et avait une peur effroyable de devenir grosse. Mais je la regardais comme une chose et non pas comme un être. Elle se vengea en répétant trois ou quatre fois par semaine que j’étais un être léger, presque fou. Elle faisait le thé, et il est très vrai que, fort souvent, de toute la soirée, je ne lui parlais

  1. Laubépin. (Note de Colomb.)