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où je les vis en bas bleus et avec des sabots. Mais, plus tard, je me dis : quelle politesse, quelle affabilité, quel sentiment de justice dans leur conversation villageoise !

Langres était située comme Volterre, ville qu’alors j’adorais, elle avait été le théâtre d’un de mes exploits les plus hardis dans ma guerre contre Métilde.

Je pensai à Diderot, fils, comme on sait, d’un coutelier de Langres. Je songeai à Jacques le Fataliste, le seul de ses ouvrages que j’estime, mais je l’estime beaucoup plus que le Voyage d’Anacharsis, le Traité des Études, et cent bouquins estimés des pédants.

Le pire des malheurs serait, m’écriai-je, que ces hommes si secs, mes amis, au milieu desquels je vais vivre, devinassent ma passion, et pour une femme que je n’ai pas eue !

Je me dis cela en juin 1821, et je vois en juin 1832, pour la première fois, en écrivant ceci, que cette peur, mille fois répétée, a été dans le fait le principe dirigeant de ma vie pendant dix ans. C’est par là que je suis venu à avoir de l’esprit, chose qui était le bloc, la butte de mes mépris à Milan en 1818 quand j’aimais Métilde.

J’entrai dans Paris, que je trouvai pire que laid, insultant pour ma douleur, avec une seule idée : n’être pas deviné.