Page:Stendhal - Souvenirs d’égotisme, 1927, éd. Martineau.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Varèse, beaux pays où se sont placés mes beaux jours.

J’étais si fou dans ces moments de bonheur que je n’ai presque aucun souvenir distinct ; tout au plus quelque date pour marquer, sur un livre nouvellement acheté, l’endroit où je l’avais lu. La moindre remarque marginale fait que si je relis jamais ce livre, je reprends le fil de mes idées et vais en avant. Si je ne trouve aucun souvenir en relisant un livre, le travail est à recommencer.

Un soir, assis sur le pont qui est au bas de la terrasse de Richmond, je lisais les Mémoires de Mme Hutchinson ; c’est l’une de mes passions.

— Mister Bell ! dit un homme en s’arrêtant droit devant moi.

C’était M. B… — que j’avais vu en Italie, chez Milady Jersey, à Milan. M. B…, homme très fin, de quelque cinquante ans, sans être précisément de la bonne compagnie y était admis (en Angleterre, les classes sont marquées, comme aux Indes, au pays des parias ; voyez la Chaumière Indienne).

— Avez-vous vu lady Jersey ?

— Non ; je la connaissais trop peu à Milan ; et l’on dit que vous autres, voyageurs anglais, êtes un peu sujets à perdre la mémoire en repassant la Manche.