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Par exemple, à Bologne, j’ai trouvé chez madame N*** une jeune femme, Ghita, dont la vie ferait un des romans les plus intéressants et les plus nobles ; mais il faudrait n’y rien changer : cette histoire occupe onze pages de mon journal. Quelle peinture vive des mœurs de l’Europe actuelle et de la sensibilité italienne ! Comme cela est supérieur à tous les romans inventés ! quel imprévu et quel naturel dans les événements ! Le défaut des comédies de caractère, c’est qu’on prévoit toutes les occurrences que le héros va rencontrer. Le héros que Ghita a tant aimé, et qu’elle aime encore, est fort commun ; le mari jaloux, dans le même genre ; la mère, atroce et énergique ; la jeune femme seule est héroïque. Du reste, on pilerait toutes les femmes à sentiment de Paris ou de Londres, qu’on n’en tirerait pas un caractère de cette profondeur et de cette énergie. Tout cela est caché sous l’air de la simplicité et souvent de la froideur. L’énergie qu’on trouve dans certains caractères de femmes de ce pays m’étonne toujours. Six mois après un mot indifférent que leur a dit leur amant, elles l’en récompensent ou s’en vengent ; jamais d’oubli par faiblesse ou distraction, comme en France. Une Allemande pardonne tout, et, à force de dévouement, oublie. Quand