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pension de deux mille écus, et le mettre à même d’attendre l’heure de l’inspiration pour écrire ! Comment avoir le courage de lui reprocher de faire un opéra en quinze jours ? Il écrit sur une mauvaise table, au bruit de la cuisine de l’auberge, et avec l’encre boueuse qu’on lui apporte dans un vieux pot de pommade. C’est l’homme d’Italie auquel je trouve le plus d’esprit, et certainement il ne s’en doute pas ; car en ce pays le règne des pédants dure encore. Je lui disais mon enthousiasme pour l’Italiana in Algeri ; je lui demande ce qu’il aime le mieux de l’Italiana ou de Tancredi ; il me répond : « Le Matrimonio segreto. » Il y a de la grâce ; car le Mariage secret est aussi oublié qu’à Paris les tragédies de Ducis. Pourquoi ne pas percevoir un droit sur les troupes qui jouent ses vingt opéras ? Il me démontre qu’au milieu du désordre actuel cela n’est pas même proposable.

Nous restons à prendre du thé jusqu’à minuit passé : c’est la plus aimable de mes soirées d’Italie ; c’est la gaieté d’un homme heureux. Je me sépare enfin de ce grand compositeur, avec un sentiment de mélancolie. Canova et lui, voilà pourtant, grâce aux gouvernants, tout ce que possède aujourd’hui la terre du génie.