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Ce marquis, le plus important des hommes, se promenait dans Milan vers les deux heures du matin, pour goûter une odeur agréable à la suite d’un de ces chars

    heures, les voisins entendirent une explosion ; mais, tout restant tranquille, ils se rendormirent.

    Le lendemain, à dix heures du matin, le beau-frère de Teranza, qui avait ouvert sa boutique, étonné de ne pas le voir paraître, fit tant de bruit, qu’il parvint à l’éveiller. Transporté de jalousie en ne voyant pas sa femme à ses côtés, Teranza enfonce d’un coup de pied la porte de sa chambre. Quelle n’est pas son horreur, quand il aperçoit sa femme et son amant étendus morts près l’un de l’autre ! Ils avaient deux paires de pistolets, l’une à capsule, l’autre à pierre ; ils avaient fait usage de la première. Laodina n’était pas du tout défigurée par le coup de pistolet qu’elle s’était tiré au fond de la bouche. Elle portait au cou le portrait de son amant ; elle avait les bagues qu’il lui avait données. Elle tenait de la main gauche un second pistolet chargé et armé, dont elle n’avait pas eu besoin. Teranza, sans dire un mot à qui que ce soit, ferme sa porte à clé, et se rend à la police pour annoncer cette catastrophe. Sa jalousie était connue ; on le retient prisonnier jusqu’à ce que le rapport des officiers de santé ait constaté le suicide. Comme les Allemands ont lu Werther, ils ont permis que les deux amants fussent enterrés ensemble dans le Campo Scelerato. le surlendemain on a fait de la musique sur leur tombe. Probablement on publiera leurs lettres. On y voit que jamais Laodina n’a manqué à la foi jurée à son mari. Un combat cruel entre sa vertu et son amour l’a déterminée à se donner la mort, et son amant n’a pas voulu lui survivre. Ils étaient déterminés à mourir dès le 25 octobre ; divers événements domestiques, et entre autres la mort du père de Valterna, ont retardé la catastrophe jusqu’au 18 janvier. Dans plusieurs de ses lettres, Valterna veut persuader à sa maîtresse de fuir avec lui ; en réponse, elle lui reproche son manque de courage. « En fuyant, lui dit-elle, pauvres, vous et moi, nous ne pouvons éviter de tomber dans la misère, qui, peut-être, nous portera à commettre des actions honteuses : la mort vaut mieux. » On trouve les lettres de Laodina admirables ; toute la Lombardie discute les détails de cette anecdote.