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nable pour sembler femmes à mes yeux ; avec tant de raison, on ne doit comprendre que la partie matérielle de l’amour.

J’oubliais que ce matin j’ai pris une sédiole pour aller voir la célèbre Chartreuse à deux milles de Florence. Le saint bâtiment occupe le sommet d’une colline sur la route de Rome ; vous le prendriez au premier aspect pour un palais ou pour une forteresse gothique. L’ensemble est imposant, mais l’impression bien différente de celle que laisse la Grande Chartreuse (près de Grenoble). Rien de saint, rien de sublime, rien qui élève l’âme, rien qui fasse vénérer la religion : ceci en est plutôt une satire ; on songe à tant de richesses entassées pour donner à dix-huit fakirs le plaisir de se mortifier. Il serait plus simple de les mettre au cachot et de faire de cette chartreuse la prison centrale de toute la Toscane. Elle pourrait bien n’avoir encore que dix-huit habitants, tant ces gens-ci me semblent bons calculateurs et exempts des passions qui peuvent égarer l’homme.

Un pauvre domestique corse, nommé Cosimo, a ces jours-ci scandalisé tout Florence. Ayant appris que sa sœur, qu’il n’avait pas vue depuis vingt ans, s’était laissé séduire, dans les montagnes de la Corse, par un homme appartenant à une