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tait une vengeance et cherchait à la prévenir. Si le comte Radichi n’eût pas tué le sbire, il eût été ce qu’est dans le Nord un homme qui reçoit un soufflet. »

Le magnifique Corner, le noble Vénitien qui gouvernait Bergame en ce temps-là et dirigeait la justice criminelle, pensait comme la société et n’eût plus admis chez lui le comte Radichi, s’il n’eût pas tué le sbire. Ce Vénitien était l’homme le plus gai ; tous les jours il jouait au pharaon jusqu’à quatre heures du matin, chez sa maîtresse, où il recevait toute la noblesse ; il donnait les fêtes les plus bizarres, mangeant chaque année deux ou trois cent mille francs de sa fortune, et du reste eût été bien surpris si on lui eût proposé de faire arrêter un noble, pour avoir tué un sbire[1].

Milan, qui n’est qu’à dix lieues de Bergame, avait en horreur les coups de fusil tirés dans la rue. Aussi les nobles de Bergame méprisaient-ils la douceur des Milanais, et ils venaient au bal masqué de la Scala avec le parti pris d’y faire des insolences à tout le monde. Allons à Milan

  1. Les noms, les lieux, les dates, tout est changé, il n’y a d’exact que le sens moral des anecdotes. Qu’importe à un étranger à deux cents lieues de distance, et après dix années d’intervalle, que le héros d’un conte s’appelle Albizzi ou Traversari ? Regardez, je vous prie, toutes les anecdotes comme de pure invention, comme des apologues. Celle-ci s’est peut-être passée à Trévise (1826).