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pieds de haut. « Je vais tomber, me disais-je ; je serai brisé, je ne pourrai jamais m’éloigner ; demain on me trouvera sous la fenêtre de Lauretta ; on soupçonne déjà nos amours ; elle sera déshonorée. Ce moment fut affreux. Elle se penchait vers moi de dessus le balcon ; je lui criai à voix basse : « Je n’ai plus de force, je ne puis plus monter. — Courage, courage ! me dit-elle. » Je montai encore trois nœuds : tout à coup je sentis mes forces anéanties ; je n’en pouvais plus. — « Encore un nœud », me cria-t-elle, tellement penchée en dehors du balcon, que je sentis la chaleur de son haleine sur ma joue. Cette sensation, je crois, me donna des forces : j’eus le bonheur de pouvoir monter ce nœud. Il me semblait que mes épaules s’ouvraient à force de douleur. Au moment où je respirais, après avoir monté ce nœud et où je n’en pouvais décidément plus, je me sentis saisir par les cheveux, et Lauretta, avec une force incroyable dans une jeune fille de dix-huit ans, m’attira sur le balcon. Elle fut dans ce moment plus forte qu’aucun homme. Nous n’employâmes plus ce moyen trop difficile, je recommençai à me cacher dans l’armoire aux balais. Un soir, un sorbet étant tombé sur le parquet dans le salon, don Cechino, un des cousins, vint chercher un balai. La première chose qu’il