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mœurs, c’est le naturel dans les manières, c’est la bonhomie, c’est le grand art d’être heureux qui est ici mis en pratique avec ce charme de plus, que ces bonnes gens ne savent pas que ce soit un art, et le plus difficile de tous. Leur société me fait l’effet du style de la Fontaine. Comme tous les soirs la loge d’une femme aimable reçoit les mêmes personnes, et cela dix ans de suite, on se comprend parfaitement ; l’on se connaît de même et l’on s’entend à demi-mot. De là peut-être le vrai charme de la bonne plaisanterie. Comment essayer de jouer la comédie devant des gens que l’on voit trois cents fois par an depuis dix ans ?

Cette connaissance intime que l’on a les uns des autres fait qu’un homme qui vit avec quinze cents francs de rente parle à un homme qui a six millions, simplement et comme il parlerait à un égal (ceci passera pour incroyable en Angleterre). J’ai souvent admiré ce spectacle. Si le riche s’avisait de vouloir jouer le bonhomme, ou le pauvre de faire le fier, on se rirait d’eux et devant eux pendant huit jours. — La fierté qu’un commis tire d’une place parmi les bourgeois de Paris, ici serait absolument inintelligible ; il faudrait l’expliquer pendant une heure. On plaint un homme assez pauvre pour être forcé de se mettre à la paye des Allemands ; on le croit obligé