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22 novembre. — Un capitaine de vaisseau anglais, jeté par les courants sur la côte de Guinée, eut un jour la sottise de prononcer devant un roitelet du pays les mots de neige et de glace. En entendant dire qu’il y avait un pays où l’eau était dure, le roitelet fut pris d’un rire inextinguible.

C’est une jouissance que je suis peu curieux de donner au lecteur, et je n’imprime point les articles de mon journal où j’ai cherché à noter les sensations singulières que je dois à Mirra, ballet de Salvator Viganò. Je l’ai revu ce soir pour la huit ou dixième fois et j’en suis encore tout ému.

Le plus grand plaisir tragique que j’eusse goûté au théâtre, avant d’arriver à Milan, je le devais d’abord à Monvel, que j’ai encore vu dans le rôle d’Auguste de Cinna. Le poignet disloqué de Talma et sa voix factice m’ont toujours donné envie de rire et m’empêchent de sentir ce grand acteur. Longtemps après Monvel, j’ai vu Kean à Londres dans Othello et Richard III, je crus alors ne pouvoir rien éprouver de plus vif au théâtre ; mais la plus belle tragédie de Shakespeare ne produit pas sur moi la moitié de l’effet d’un ballet de Viganò. C’est un homme de génie qui emportera son art avec lui,