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ROMANS ET NOUVELLES


quelque usage du monde et des passions me regarde, jette les yeux sur moi, sur le champ il voit que j’aime. De quel front nier une vérité aussi évidente ?

— Il faut nier toujours ; bientôt nous verrons cesser cet amour coupable. Un jour, au milieu d’un de ces splendides dîners de Viroflay, l’on parlait des succès si imprévus de mademoiselle Rachel.

— Ce que j’aime surtout dans cette jeune fille, c’est qu’elle n’exagère pas l’expression des passions ; même dans certaines parties du rôle d’Émilie de Cinna, on dirait qu’elle lit son rôle ; cela est admirable au milieu d’un peuple qui ne vit que d’exagération. Parmi nous, romanciers, écrivains sérieux, poëtes, peintres, tous exagèrent pour se faire écouter.

Aucun des convives ne répondit à ce propos de Boissaux ; il était tellement loin de ses discours ordinaires, que tout le monde resta comme frappé d’étonnement.

Féder avait donné un correspondant littéraire à son ami ; il avait choisi un pauvre vaudevilliste émérite. Chaque jour vingt lignes de cette correspondance arrivaient à Viroflay ; c’était le mot qu’il fallait dire sur la pièce de la veille, sur l’exposition de l’industrie ou des tableaux, sur la mort de la tortue, sur le procès Sampayo, etc., etc. M. Boissaux avait consenti