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FÉDER

la première fois, elle osa se dire : « Il est mort ! jamais mes yeux ne le reverront ! » Elle voulut s’appuyer sur la caisse du jonc américain ; mais elle n’eut pas la force de s’y retenir ; elle tomba tout à fait étendue par terre, et ce fut à cette position qu’elle dut de n’être pas vue par son mari, qui, inquiet de son absence, vint la chercher quelques minutes plus tard.

Lorsqu’elle revint à elle-même, elle avait oublié la nouvelle qu’elle venait d’apprendre ; elle fut fort étonnée de se trouver couchée dans la poussière. Puis, tout à coup, l’affreuse vérité lui revint ; elle se figura son mari venant l’interroger et suivi bientôt après des cinq ou six personnages qui, parmi les dîneurs, se trouvaient de sa connaissance la plus intime. « Que faire, que devenir ? s’écriait la malheureuse femme en fondant en larmes. Tous connaissent maintenant la fatale nouvelle ; comment expliquer d’une façon à peu près raisonnable la situation dans laquelle je me trouve ? Dans dix minutes d’ici, je serai aussi déshonorée que je suis malheureuse. Qui, au monde, voudra croire qu’il n’y avait entre nous que de la simple amitié ? Et moi-même, je croyais encore, il y a huit jours, n’avoir que de l’amitié pour Féder. »

En s’entendant elle-même prononcer ce