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ROMANS ET NOUVELLES


pour quinze cents francs de primeurs ; et vous achetez des livres, et vous donnez dans les reliures chères, afin de montrer à tous que vous aimez les livres, et vous ne connaissez pas les livres, et le moindre petit avocat peut prendre le pas sur vous, et, si vous regimbez, vous engager dans une discussion où il a tous les avantages, où il est le grand homme, et vous le petit garçon ! Tandis que, si vous étiez resté fidèle au culte des jouissances physiques, dans tout Paris vous n’aviez pas plus de cinq cents rivaux, et tout le monde vous voyait jouir de ces plaisirs que tout le monde désire et que personne ne peut nier. Quand vous aurez dépensé deux mille francs pour un dîner de douze personnes, que peuvent dire l’envie et la méchanceté ? Ce fameux M. Boissaux, le premier négociant de Bordeaux, mène un train qui ne durera pas, il se ruine, etc. Mais l’envie et la méchanceté ne peuvent pas nier votre dîner de deux mille francs. Vous avez acheté les œuvres de Rousseau et de Voltaire ; bien plus, vous avez l’imprudence d’avoir un des volumes de ces gens-là ouvert sur votre bureau ; le premier venu qui entre va vous dire : « Cette page que vous lisez est absurde » ; ou bien, si vous la trouvez mauvaise, il va vous soutenir qu’elle est sublime. Si vous évitez