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RACINE ET SHAKSPEARE

Racine ne croyait pas que l’on pût faire la tragédie autrement. S’il vivait de nos jours, et qu’il osât suivre les règles nouvelles, il ferait cent fois mieux qu’Iphigénie. Au lieu de n’inspirer que de l’admiration, sentiment un peu froid, il ferait couler des torrents de larmes. Quel est l’homme un peu éclairé qui n’a pas plus de plaisir à voir aux Français la Marie Stuart de M. Lebrun que le Bajazet de Racine ? Et pourtant les vers de M. Lebrun sont bien faibles ; l’immense différence dans la quantité de plaisir vient de ce que M. Lebrun a osé être à demi romantique.

l’académicien. — Vous avez parlé longtemps ; peut-être avez-vous bien parlé, mais vous ne m’avez pas convaincu du tout.

le romantique. — Je m’y attendais. Mais aussi voilà un entr’acte un peu long qui va finir, la toile se relève. Je voulais chasser l’ennui en vous mettant un peu en colère. Convenez que j’ai réussi.

Ici finit le dialogue des deux adversaires, dialogue dont j’ai été réellement témoin au parterre de la rue Chantereine, et dont il ne tiendrait qu’à moi de nommer les interlocuteurs. Le romantique était poli ; il ne voulait pas pousser l’aimable académicien, beaucoup plus âgé que lui ;