Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
RACINE ET SHAKSPEARE

tation d’un ouvrage de l’art, et non pas à un fait vrai.

l’académicien. — Qui songe à nier cela ?

le romantique. — Vous m’accordez donc l’illusion imparfaite ? Prenez garde à vous.

Croyez-vous que, de temps en temps, par exemple deux ou trois fois dans un acte et à chaque fois durant une seconde ou deux, l’illusion soit complète ?

l’académicien. — Ceci n’est point clair. Pour vous répondre, j’aurais besoin de retourner plusieurs fois au théâtre, et de me voir agir.

le romantique. — Ah ! voila une réponse charmante et pleine de bonne foi. On voit bien que vous êtes de l’Académie, et que vous n’avez plus besoin des suffrages de vos collègues pour y arriver. Un homme qui aurait à faire sa réputation de littérateur instruit se donnerait bien garde d’être si clair et de raisonner d’une manière si précise. Prenez garde à vous ; si vous continuez à être de bonne foi, nous allons être d’accord.

Il me semble que ces moments d’illusion parfaite sont plus fréquents qu’on ne le croit en général, et surtout qu’on ne l’admet pour vrai dire dans les discussions littéraires. Mais ces moments durent infiniment peu, par exemple une demi-seconde,