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DE QUELQUES OBJECTIONS

commence l’action et le travail du goût, intermédiaire placé entre le monde idéal, où le génie marche seul, environné de ses conceptions, et le monde réel et extérieur, où il se propose de les produire. Le goût examine l’état moral du pays et de l’époque, les préjugés répandus, les opinions en vogue, les passions régnantes ; et, d’après le résultat de cet examen, il enseigne au génie les convenances, les bienséances à observer, lui indique comment il doit ordonner ses compositions, sous quelles formes il doit présenter ses idées pour faire sur le public l’impression la plus vive et la plus agréable. Lorsque le même homme possède ce double avantage, le génie, puissant créateur, et le goût, habile arrangeur, il devient un de ces écrivains heureux, l’admiration de la jeunesse. C’est pour lors que son succès atteint et surpasse ses espérances, et que son talent règne en souverain sur tous les esprits et sur tous les cœurs. Mais lorsqu’il ne les réunit (les deux facultés) qu’à un degré inégal, et ses ouvrages et ses succès se ressentent de ce manque de fidélité à la mode.

« Toute la partie médiocre et demi-médiocre du public ne voit pas ces idées neuves. Il produit son effet sur certains esprits, il le manque sur d’autres : ce désaccord du génie et du goût, dans un même talent, donne lieu, de la part du public, aux jugements les plus contradictoires ; ceux qui ne sont sensibles qu’à ses défauts s’indignent que d’autres lui trouvent