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DE QUELQUES OBJECTIONS

Il y a quelques années qu’un mauvais danseur de l’Opéra était en même temps un graveur fort distingué ; aurait-il été bienvenu à dire aux gens qui lui reprochaient de mal danser : « Voyez comme je grave, et la gravure n’est-elle pas un art bien plus noble que la danse ? »

Tel est Platon, âme passionnée, poëte sublime, poëte entraînant, écrivain de premier ordre et raisonneur puéril. Voyez, dans la traduction de M. Cousin, les drôles de raisonnements que fait Socrate (entre autres page 169, tome Ier).

L’idéologie est une science non-seulement ennuyeuse, mais même impertinente. C’est comme un homme qui nous arrêterait dans la rue, nous proposant de nous enseigner à marcher. « Est-ce que je ne marche pas depuis vingt ans, lui répondrions-nous, et ne marché-je pas fort bien ? » Il n’en est pas moins vrai que les trois quarts des hommes marchent mal et de manière à se fatiguer bientôt. Les gens qui repousseraient avec le plus d’aigreur l’impertinente proposition sont ceux qui marchent le mieux, et qui ont inventé pour leur propre compte quelque art imparfait de bien marcher.

Il est agréable de croire apprendre l’idéologie en lisant un grand poëte tel que Platon, obscur quelquefois, mais de cette obscurité qui touche et séduit les âmes élevées. Rien de sec, au contraire, et de décourageant comme les pages de Condillac ; comme il fait profession d’y voir clair et qu’il ne voit pas ce qu’il y a de généreux et