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DE QUELQUES OBJECTIONS

par des femmes qui n’auraient jamais lu aucun sermon, fût-ce celui de Bourdaloue contre le Tartuffe. N’importe, Beaumarchais est immoral. — Dites qu’il n’est pas assez gai, que sa comédie fait souvent horreur, l’auteur n’ayant pas eu l’art sublime qui, dans le Tartuffe, tend sans cesse à diminuer l’odieux. — Non, Beaumarchais est souverainement indécent. — À la bonne heure. Nous sommes trop près de cet homme d’esprit pour le juger. Dans cent ans, le faubourg Saint-Germain n’aura pas eu le temps de lui pardonner l’attrape qu’il fit au despotisme des convenances, en 1784, en faisant jouer son délicieux Figaro.

Regnard est immoral, me dit-on ; voyez son Légataire universel. — Je réponds : Jamais les jésuites de Franche-Comté, établis à Rome, n’eussent osé risquer cette mystification de Crispin dictant le testament de Géronte tombé en léthargie, et cela en présence d’un conseiller au parlement de Dijon et d’un chanoine de la même ville, s’ils avaient pu craindre que ces messieurs eussent vu jouer une fois en leur vie le Légataire de Regnard.

Le sublime du talent de cet homme aimable, auquel manquent la passion de la gloriole littéraire et le génie, c’est de nous avoir fait rire en présence d’une action si odieuse. La seule leçon morale que la comédie puisse fournir, l’avertissement aux attrapés et aux ridicules, est donnée, et pourtant cette haute leçon ne nous a coûté ni un seul instant d’ennui, ni un seul