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DU ROMANTICISME DANS LES ARTS

N’allez pas croire que je n’admire pas Rossini ; je crois qu’avec Canova et Vigano, il est maintenant l’honneur de notre belle Italie. J’avoue que ce n’est qu’après l’avoir adoré pendant cinq ou six ans que je me suis senti le courage de le critiquer. Mais enfin je suis obligé ici de faire voir que, comme les femmes décident, pour le moins autant que les hommes, du mérite de la musique, il n’entre point de pédanterie dans le jugement du public, et que, par conséquent, il est ultra-romantique. Ce qui plaisait à nos pères, en 1790, ne nous plaît plus en 1819, trente ans plus tard.

Mon sentiment particulier, c’est qu’il entre un peu d’affectation dans ce dégoût du public pour la musique ancienne. Il y a certaines cantilènes qui expriment les passions. Par exemple, la jalousie est exprimée par l’aria Vedro mentr’io sospiro que chante le comte Almaviva dans les Nozze di Figaro de Mozart ; ces cantilènes-la ne peuvent pas vieillir en trente ou quarante ans, et j’avouerai que dans tout l’Otello de Rossini, je ne trouve rien qui exprime aussi bien la jalousie, ce tourment des cœurs tendres que cet air : Vedro mentr’io sospiro.

Le public est ennuyé à mort des opera seria que l’on continue à donner à la Scala, pendant le carnaval, par le classicisme le plus ridicule uniquement parce que cela plaisait à nos pères vers 1770. D’ici à deux ou trois ans, chacun osera dire ce qu’il sent, et nous aurons alternativement un opera seria et un opera buffa. Alors on sera obligé