Page:Stendhal - Racine et Shakespeare.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
RACINE ET SHAKSPEARE

de l’esprit humain, en mai 1755, le dictionnaire de Johnson, avec une grammaire anglaise et une histoire de la langue anglaise parut en deux volumes in-folio. Lord Chesterfield, le grand seigneur à la mode alors, fit tout au monde pour que le dictionnaire lui fut dédié. Il fit paraître deux grands articles dans les journaux pour le louer. Les libraires voulaient que Johnson adhérât au désir de sa seigneurie, mais, sept ans auparavant, lord Chesterfleld avait fait attendre dans son antichambre Johnson, pauvre alors et mal vêtu. Il refusa franchement la dédicace par une lettre qu’il adressa à lord Chesterfield lui-même, et qui est un chef-d’œuvre de juste noblesse et de style. Il dit à son ami le célèbre Garrick qui lui parlait du lord : « J’ai entrepris et exécuté un long et pénible voyage autour du monde du langage anglais ; ai-je besoin aujourd’hui qu’il envoie deux petits bateaux pour me remorquer jusque dans le port ? »

Chacun des libraires associés a retiré environ six cent mille lire ilaliane du dictionnaire. Cet ouvrage est pour eux et leurs enfants comme une belle terre. Pour le malheureux Johnson, en finissant son ouvrage, il se trouva avoir fini de manger les trente-six mille lire ilaliane qu’il lui avait valu et retomba dans la pauvreté. Il faut convenir que cet exemple n’est pas encourageant pour nos gens de lettres.

Les frais seront considérables ; il faut que des hommes supérieurs sacrifient à ce grand travail une partie de leur vie. Il