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DE LA LANGUE ITALIENNE

pas à nous autres hommes ordinaires Or ce qui fait la civilisation d’un pays ce ne sont pas un homme de génie ou deux, ce sont les millions d’hommes médiocres instruits d’une manière raisonnable. Si écrire dans une langue morte est une chose funeste pour la poésie et les livres d’agrément, c’est un obstacle presque invincible, si ce n’est à la découverte de la vérité, du moins à sa diffusion.

Par exemple dans les discussions grammaticales il faut une langue qui saisisse la pensée jusque dans ses moindres nuances, une langue qui prenne l’habitude sur le fait. Comment le jeune Vénitien, étudiant à Padoue, comment le Milanais, étudiant à Pavie, pourront-ils suivre l’auteur qui discute la grammaire, pourront-ils vérifier dans le livre de leur habitudes, dans les souvenirs de leurs oreilles, si je puis m’exprimer ainsi, les assertions de leur auteur, si leurs oreilles sont accoutumées à une langue autre que celle dont se sert l’auteur.

Il y a plus, l’auteur est vénitien : il porte ses souvenirs du dialecte vénitien dans ses discussions sur le bel italien ; mais il a honte d’avouer cette vérité. Il traduit ses souvenirs en toscan ; le jeune étudiant qui le lit est piémontais ; il faut que ce jeune homme devine son auteur à travers un double voile, savoir : 1o la traduction des souvenirs du vénitien en bel italien, et 2o l’application de ces souvenirs exprimés en bel italien à des habitudes piémontaises.

L’analyse de la langue demande tant de