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QU’EST-CE QUE LE ROMANTICISME ?

que nous voulions imposer Shakspeare à l’Italie. Loin de nous une telle idée. Le jour où nous aurons une tragédie vraiment nationale, nous renverserons Shakspeare et son élève Schiller. Mais, jusqu’à ce grand jour, je dis que Shakspeare nous donnera plus de plaisir que Racine ; je dis de plus que, pour parvenir à avoir une véritable tragédie nationale italienne, il faut marcher sur les traces de Shakspeare, et non sur celles de Racine. Je dis encore qu’Alfieri, ainsi que Racine, est un très-grand tragique, mais qu’il n’a fait qu’amaigrir, que spolpare encore le maigre système français, et qu’en un mot nous n’avons pas encore la vraie tragédie italienne. Mais revenons à l’histoire des révolutions de la poésie.

Comme le bois, léger débris des forêts, suit les ondes du torrent qui l’emporte aussi bien dans les cascades et les détours rapides de la montagne que dans la plaine, lorsqu’il est devenu fleuve tranquille et majestueux, tantôt haut, tantôt bas, mais toujours à la surface de l’onde ; de même la poésie suit les divers caractères que prend la civilisation des sociétés.

Il y a trente ans, nous étions étiolés par les douceurs d’une longue paix ; tout respirait l’opulence, la tranquillité. Le gouvernement vraiment admirable de Joseph II et du comte de Firmian redoublait pour nous les avantages du plus beau climat de l’univers.

Maintenant nous avons été rudement