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QU’EST-CE QUE LE ROMANTICISME ?

amis, conclut de ses observations astronomiques et géodésiques qu’il doit y avoir une Amérique.

Au second acte, il est à la cour de Philippe, en butte aux hauteurs méprisantes des courtisans, qui lèvent les épaules en le voyant passer, et protégé par la seule Isabelle, reine d’Espagne.

Au troisième, il est sur son vaisseau, voguant au milieu des mers inconnues et dangereuses. Le découragement le plus profond règne à son bord ; on conspire contre lui, on est prêt à le mettre aux fers et à tourner la proue vers l’Europe, quand un matelot monté sur le grand mât s’écrie : Terre ! terre !

Cette suite d’actions de l’un des plus grands de nos compatriotes, oserez-vous la remplacer par de froids récits ? Qui les fera, ces récits ? Qui les écoutera ? Et surtout quelle confiance un homme sensé a-t-il à un récit ? Dans un récit, on me dicte mes sensations ; ainsi le poëte ne peut toucher qu’une classe d’auditeurs. Quand, au contraire, nous voyons un fait se passer sur le théâtre, chacun de nous en est touché à sa manière, le bilieux d’une façon, le flegmatique d’une autre. Par là, la tragédie s’empare d’une partie des avantages de la musique. Supposez Racine ou Alfieri traitant le sujet de Christophe Colomb, et nos yeux seront privés du spectacle le plus intéressant et le plus moral : Un grand homme luttant contre la médiocrité qui veut l’étouffer

Homme froid ! voyez le succès d’une telle